La monumentalité des années 1930

La décennie 1930 est celle d’une collaboration fructueuse avec Marcel Van Goethem (1900-1960). La carrière de Dumont atteint son point culminant. On retient surtout les projets à grande échelle pour des multinationales comme Shell, Citroën et les Assurances Générales de Trieste (devenues Generali). Ces éléments essentiels du centre de Bruxelles témoignent d’une période où les programmes de construction et les matériaux créent un langage esthétique nouveau.

L’immeuble Shell (fig. 1) jouit d’une situation stratégique sur une parcelle de 67 ares, à l’angle du Cantersteen et de la rue Ravenstein, dans le centre de la capitale. Avec le bâtiment Citroën, c’est un des concepts les plus avancés qu’Alexis Dumont ait élaboré avec Marcel Van Goethem. Le chantier commence en janvier 1932. À peine un an plus tard, le gros-œuvre est achevé, et le complexe est mis en service en 1934. Une deuxième phase (une grande tour carrée de 30 m de côté et 90 m de haut) était prévue pour couronner l’ensemble, mais n’a jamais vu le jour (fig. 2). Dès les premiers croquis, Dumont esquisse des formes simplifiées à l’extrême, traduisant la vision internationale des maîtres d’œuvre. La pente du terrain, avec son dénivelé de 3,50 mètres, est parfaitement exploitée : l’édifice semble tout droit sorti du sol. Le bâtiment doit aussi sa silhouette distinctive à la différence d’un étage entre les deux ailes. L’usage de la pierre naturelle étant imposé, la façade de 184 mètres de long est réalisée en Savonnière, tandis que la pierre bleue des seuils et des montants de fenêtres apporte des touches de couleur. La façade est revêtue de granite du Labrador noir brillant en guise d’encadrement des vitrines en bronze et des portes d’entrée. Toutes les autres fenêtres sont en métal.

Les magazines d’architecture de l’époque en parlent abondamment. Bâtir[1] lui consacre même un numéro complet ! Le Document[2] vante le caractère fonctionnel et innovant de l’édifice : « ...un important immeuble à caractère extérieur très accusé et des dispositions intérieures très ingénieuses et admirablement adaptées à leur destination » et « L’immeuble Shell constitue une des plus remarquables applications des lois de l’architecture moderne. C’est un exemple de bonne adaptation aux exigences nouvelles de la vie. » De même, L’Émulation[3] ne tarit pas d’éloges : « L’immeuble de la Société SHELL est d’une disposition relativement simple. Simplicité recherchée, puisqu’elle signifie aisance, gain de temps, économie ». Le complexe s’inscrit dans une série de réalisations comparables que Shell a commandées au cours des années 1930 dans plusieurs capitales européennes : la Shell-Mex House à Londres (1933, arch. Ernest Martin Joseph), la Shell-Haus à Berlin (1932, arch. Emil Fahrenkamp) et l’Immeuble Shell à Paris (1932, arch. Lucien Bechmann et Roger Chatenay)[4].

Parallèlement à l’architecture corporative du centre-ville, Dumont dessine des maisons et des immeubles d’appartements plus modernistes (fig. 3). L’approche rationnelle de la villa Coene fait exception, avenue Jean et Pierre Carsoel à Uccle (fig. 4).

Dans le prolongement des commandes pour Shell et Assurances Trieste, l’architecte se consacre personnellement à la Jonction Nord-Midi de Bruxelles. Il s’occupe en particulier de la création du boulevard de la Jonction[5] et de l’aménagement des terrains voisins libérés par la démolition de quartiers entiers. Les associés publient ainsi dans L’Émulation[6] un projet théorique pour le boulevard de la Jonction, ainsi qu’un concept pour la nouvelle bibliothèque Albertine. Aux yeux de Dumont et Van Goethem, le choix du site de l’Albertine était indissociable du problème du boulevard de la Jonction. Les recommandations de Dumont sont à la base de la création d’un Office National de la Jonction (ONJ) en 1935. Cette agence était chargée de coordonner les travaux, mais n’a jamais produit de plan général et cohérent.

Texte basé sur l’article « Alexis Dumont. 60 ans d’urbanisme et de construction », Verhofstadt, T., Bruxelles Patrimoines, n°32, décembre 2019, p. 148-157. 

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[1] « Au flanc du Ravenstein. La Shell », dans Bâtir, 22, 1934, p. 835-872. Richement illustré de photos de chantier, plans, coupes, avec le programme de construction, les méthodes, les matériaux, les techniques (chauffage, ventilation, isolation et ascenseurs), la décoration, l’éclairage, et en conclusion, les pages publicitaires des entrepreneurs et fournisseurs.

[2] Le Document, 3, 1934, p. 35- 37.

[3] L’Émulation, 5, 1936, p. 77- 82.

[4] BRAEKEN, J., « De Shell-Building te Brussel », dans M & L, jg. 13, 4, 1994, p. 24, 26 et 28.

[5] Le boulevard du Jonction était l’appellation provisoire du tracé formé par la liaison souterraine entre la gare du Nord et la gare du Midi. Aujourd’hui, ce tracé correspond (du nord au sud) au boulevard Pacheco, au boulevard de Berlaimont, au boulevard de l’Impératrice et au boulevard de l’Empereur.

[6] L’Émulation, 2, 1935, p. 17- 19.

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